Après la performance de Zlatan Ibrahimovic sur la pelouse de Palerme samedi en fin de journée, cette affirmation peut résonner comme uneprovocation. Pourtant, derrière ce triplé réussi en 14 minutes, dernier élément à mettre sur la balance des pro Ibrahimovic, l’attaquant suédois fait débat. Chez lui, en Suède, comme en Italie. La sphère médiatique se gave de ses exploits mais ce n’est pas toujours le cas des supporters de ces deux équipes, pour lesquelles la question se pose réellement. Ibra est-il un grand joueur ? Peut-il gagner un match à lui tout seul comme on l’entend régulièrement ? Si oui, le peut-il face à tout type d’adversaire ? Son individualisme nuit-il à l’expression collective ?
Zlatan fait partie de ces joueurs de qui on retient plus les phrases et les dérapages que les performances. Car le Suédois est plus qu’un joueur. Prenez George Best, le meilleur de tous pour certains. Quand vous prononcez son nom, quel est le pourcentage de chance pour que votre interlocuteur parle en premier de ses phrases devenues célèbres (1) ? Même chose avec Ibrahimovic, ses provocations au micro (2) et ses dérapages sur le terrain. Quand on se penche sur le palmarès du Suédois et sur ses statistiques, se poser toutes ces questions peut sembler aberrant. En fait, tout ceci relève de l’exigence. Celle que Zlatan assure avoir envers lui-même et qu’il demande à ses coéquipiers. Pour le meilleur et pour le pire…
Un champion (trop ?) facile
Zlatan Ibrahimovic pue le football. Le voir balle au pied est souvent un régal et ses éclairs de génie peuvent vous faire chavirer. Il est techniquement très à l’aise et sans aucun doute au-dessus de la moyenne. Pied droit, pied gauche, cuisses, poitrine et tête, chaque partie de son corps est amenée à être décisive car Zlatan est un joueur complet. Tous ces attributs, en plus de sa grande taille, lui permettent d’être souvent en avance sur ses adversaires. Il le sait et a confiance en ses qualités. Mais tout ceci est également une faiblesse. Car Zlatan ne compense pas. Malmené, il tentera toujours de forcer la solution en sur-utilisant ses attributs, au risque d’attirer tous les ballons et faire plonger le collectif de son équipe.
Zlatan a un fort caractère. Disons plutôt un caractère de vainqueur mêlé à un cochon et un fou à lier. C’est un peu tout ça qu’il y a dans la tête de l’attaquant Rossonero. D’où, parfois, des situations complexes qu’il ne parvient pas à maîtriser, entre coup de sang et entêtement. Cette confiance en ses qualités est parfois un frein à sa motivation. Il sait que sur un coup de pied, il peut faire basculer un match et qu’il n’a pas besoin de forcer. Et dans de nombreux matchs, c’est un Ibrahimovic fainéant que l’on aperçoit, rechignant à presser, à accélérer le jeu et à être en mouvement de façon régulière. Comme contre la Juve en Coupe d’Italie, début février, où son attitude a choqué les supporters du Milan.
Pour le défendre, certains ont expliqué que cette compétition ne l’inspire pas. Mais cette attitude fait-elle de lui un champion ? Ou plutôt, un très grand joueur peut-il choisir ses matchs et abandonner son équipe quand la motivation est absente ? Pour être très clair, je ne crois pas à ce manque d’inspiration. Car comment expliquer qu’il brille face aux "petites équipes" et est absent des grands matchs, là où l’excitation est à son maximum ?
Un fuoriclasse pourtant absent des grands matchs
Le principal reproche fait au Suédois est son incapacité à faire la différence face aux grandes équipes. Se met-il trop la pression ? Difficile d’y croire. La vérité est peut-être qu’en face de grands défenseurs, Zlatan a plus de mal à surprendre. Ses adversaires sont meilleurs dans l’anticipation, le serrent de plus près, le collent même pendant 90 minutes aux quatre coins du terrain et lui semble se frustrer, et sort parfois de son match.
Et effectivement, lorsque l’on se penche sur les statistiques, le phénomène prend tout son sens. Si on prend les matchs face aux "gros" depuis son arrivée chez les Rossoneri, le bilan est maigre avec quinze matchs pour quatre buts (dont deux sur penalty). Par "gros", entendez Juve, Barça, Inter, Arsenal, Real Madrid et Tottenham. L’AC Milan se comporte aussi très bien en son absence : nul 2-2 au Barça, nul contre la Juve récemment (dans les circonstances que l’on sait), victoire 3-0 dans le derby la saison passée.
Même chose avec la sélection nationale de Suède. Depuis les qualifications pour la Coupe du monde 2010, il n’a marqué aucun but lors des sept affiches disputées contre le Portugal, le Danemark (derby), l’Angleterre et les Pays-Bas. Mieux, quand il est absent, l’équipe obtient de meilleurs résultats : nul contre l’Allemagne et au Portugal, victoire contre les Pays-Bas.
Dans son pays natal, justement, Zlatan est partout. Il est impossible d’ouvrir le journal sans tomber sur les derniers exploits (sur et en dehors du terrain) de l’attaquant milanais. Dans les magasins de sport, son portrait est affiché sur tous les murs. Qu’ils s’appellent Stadium, Team Sportia ou Inter Sport, tous les concurrents misent sur Ibrahimovic. Dans les librairies, les livres sur Zlatan ont bonne place et même la fédération "markète" son image en délocalisant des matchs de la sélection à Malmö, ville de naissance du phénomène.
Pourtant, là encore, c’est chez les supporters que les critiques sont les plus tenaces. Ses vrais-faux départ à la retraite internationale ont laissé des traces. Mais c’est surtout ses performances qui alimentent les discussions. Au point que lors d’un sondage sur l’Aftonbladet (quotidien national) avant le match amical en Croatie, plus de la moitié des sondés préféraient voir John Guidetti à la pointe de l’équipe, plutôt qu’Ibra(cadabra) ou Elmander. Le joueur du Feyenoord apparaît comme un joueur d’équipe alors que Zlatan est vu comme un individualiste surdoué. Résultat, quand on regarde un match de la Suède, l’équilibre semble plus affirmé et facile à trouver sans Zlatan qu’avec.
En Croatie, il a répondu par une superbe performance avec un but et une passe décisive, dans un rôle de numéro 10 étonnant mais séduisant. Dans cette position, il doit faire jouer ses coéquipiers. Erik Hamren (sélectionneur suédois) a t-il trouvé le meilleur moyen pour l’impliquer dans le collectif ? Ce n’est pas si simple car encore plus qu’avant, dans cette position, tout passe par Zlatan.
Des coéquipiers complexés ?
J’ai la sensation qu’en l’absence d’Ibrahimovic, ses coéquipiers sont décomplexés et se lâchent. Impression valable pour la sélection suédoise comme le Milan. Je me souviens de Thierry Henry expliquant, suite à son départ pour Barcelone, qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle pour le collectif d’Arsenal car tout reposait sur lui offensivement. C’est un peu l’impression que j’ai lorsque les équipes de Zlatan jouent sans lui.
Sur la pelouse de l’Udinese et de Cesena, comme face à la Juve, le collectif milanais s’est mis en évidence. Comme si, lorsque Zlatan est présent, tous les joueurs ont un complexe d’infériorité et espèrent que le Suédois fasse la différence. Ibra aimante les ballons et certains coéquipiers tombent dans la facilité en minimisant la prise de risque et en lui passant immédiatement le cuir. Du coup, l’équipe peut devenir prévisible et face "aux gros clubs" ayant de très grands défenseurs, cela ne passe pas. Emmanuelson vient de réaliser trois bons matchs en l’absence du Suédois. Même chose pour Robinho (même si son entente avec Zlatan est une force) et El Sharaawy qui s’est mis en évidence. Un hasard ? Pas vraiment !
Le jeu de Zlatan a également légèrement évolué. Face au but, sauf lors des phases de contre-attaque, le Suédois prend son temps et joue même parfois arrêté. Il doit penser qu’il peut faire la différence sur un pas grâce à sa technique et son puissant physique. Est-ce un signe de maturité ou d’une trop grosse confiance en soi ? Toujours est-il que ce phénomène est flagrant, encore plus depuis le début de la saison. Ce petit jeu est une réussite face aux petits, comme Palerme samedi soir, mais face aux gros ? Souvent, Zlatan ralentit trop le jeu et ses coéquipiers sont obligés de s’arrêter pour ne pas être pris au piège du hors-jeu. Le Suédois aurait tout à gagner en ajoutant un peu de spontanéité à son jeu.
Face à Arsenal mardi soir, Zlatan ne sera pas sous examen. D’une part car le résultat du match aller est très favorable aux Milanais, et d’autre part parce que le club londonien réussit particulièrement au Suédois. Lors du match aller, Zlatan a été bon, généreux dans l’effort (pressing, replacement) et décisif, dans une position plus éloignée du but qui est la sienne actuellement. Il n’est pas rare de le voir organiser la manœuvre à trente mètres des buts adverses. Mais il sait également conclure les offrandes de ses coéquipiers. Est-ce le signe d’un Ibra nouveau ? Est-ce l’année de Zlatan en Ligue des Champions ? Les supporters milanais veulent y croire mais gardent à l’esprit les exemples du passé pour éviter toute surexcitation.
Zlatan Ibrahimovic est indispensable pour gagner des titres et son palmarès parle pour lui. Partout où il est passé, le club a fini champion de son pays. Mais faut-il pour autant le faire jouer tous les matchs, et notamment les grandes rencontres où le collectif est essentiel ? Rien n’est moins sûr même si une telle décision pourrait paraître suicidaire d’un point de vue médiatique, et personnel puisque Zlatan veut toujours être titulaire. Zlatan est-il un très grand joueur malgré son absence des très grands matchs ? À Milan comme en Suède, c’est du 50-50. À vous de juger !
(1)"En 1969 j'ai arrêté les femmes et l'alcool, ça a été les 20 minutes les plus dures de ma vie."
"J'ai claqué beaucoup d'argent dans l'alcool, les filles et les voitures de sport - le reste, je l'ai gaspillé."
"J'avais une maison au bord de la mer. Mais pour aller à la plage, il fallait passer devant un bar. Je n'ai jamais vu la mer."
(2)"Ce que John Carew fait avec un ballon, je le fais avec une orange."
"J’aime humilier mon adversaire, cela fait partie de ma conception du jeu."
"Moi, je suis Zlatan, et vous, vous êtes qui putain?"